L'affaire Louis-Mailloux - Héro malgré lui

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Volume 16 Numéro 10

Témoignage de Bernard Albert lors du procès pour meurtre de John Gifford (Novembre 1875)

Bernard Albert (l'un des prisonniers) dépose :

  • Suis en prison depuis environ 10 mois ; suis marié ; alla chez André Albert vers une heure le 27 janvier dernier ; sept ou huit jouaient aux cartes ; commençai à jouer en entrant ; après que les uns avaient joué une partie ils laissaient jouer les autres. Agapit Albert et moi jouâmes ensemble ; après avoir joué une partie, je montai au grenier et me couchai sur un tas de grains ; Agapit se coucha sur une voile dans la cuisine ; je m'endormis et fus éveillé par un bruit ; c'était du monde qui montait ; André Albert et Louis Parisé ne montèrent pas ; Madame Albert marchait dans la maison quand j'étais en bas.
  • Quand ces gens montèrent en haut, que dirent-ils ?

M. Kerr s'objecte à une telle question et dit qu'il est absurde de recevoir comme témoignage les déclarations d'hommes ligués ensemble en confédération criminelle. C'est contraire à la loi et à la justice. Le procureur général dit que les convictions criminelles sont fines si les déclarations de ceux qui s'associent sont admissibles. M. Thompson prétend que si ce n'est pas le droit, il est temps que la loi subisse un changement. Il condamne l'usage de mots comme confédération coupable. Il peut montrer que ses hommes se sont écriés : « Voilà les connétables qui viennent nous tuer ! » Ils ont le droit d'avoir le témoignage de ces déclarations. M. Kerr dit qu'il pouvait enseigner la loi à son savant ami. Il avait entendu exprimer beaucoup de sympathie pour le prisonnier Chiasson, mais aucune pour Gifford qui a été si lâchement assassiné. Son Honneur dit que c'est une importante question. Il aimerait avoir le temps de la considérer, mais si le procureur général est sûr de l'exactitude des vues qu'il a exprimées, et veut prendre la responsabilité d'exclure cette preuve, il le fera. Le procureur général dit qu'il prend cette responsabilité. Bathurst, 24 novembre Ce matin, le procureur général dit qu'après mûres délibérations, il ne s'objecterait pas aux déclarations des prisonniers au grenier. L'examen de Bernard Albert est continué :

  • Qu'ont dit les gens en montant en haut et en vous éveillant ?
  • Ils dirent : « Nous sommes tous morts ! L'armée de Young arrive armée de fusils et de baïonnettes cachons-nous. » Je me cachai au coin sud-est des planches, près du poulailler ; ne remuai pas tant que les planches ne furent pas soulevées et le feu commencé. Entendis entrer quelques personnes. Le feu commença aussitôt à leur entrée. Entendis des voix en bas avant le feu. Après avoir entendu le bruit des fusils je sortis d'où j'étais. Il avait été tiré cinq ou six coups. Mailloux sortit avec moi ; quand Mailloux et moi étions derrière les planches, il n'y avait pas de fusil. Après avoir laissé ma cachette, je vis un homme monter pendant qu'on tirait ; je le vis tirer quand il eut le visage et l'estomac au-dessus de la trappe ; il tirait puis se retirait ; il avait un pistolet. Il tourna le dos vers l'ouest et tira vers l'est ; Mailloux, Joseph Chiasson et moi étions en plein devant lui. L'homme se retirait avant que la fumée fut passée. Ce qui m'empêchait de le voir, vis cinq ou six coups, les balles nous sifflaient aux oreilles. Pendant tout ce temps, il n'y eut pas un seul coup de tiré d'en haut. Il fut tiré d'en bas quand je ne pouvais pas voir l'homme à la trappe ni dire d'où les coups venaient, parce qu'il y avait trop de bruit. Pendant ce temps, Joseph Duguay fut frappé au côté de la joue par une balle ; après cela Mailloux voulait tirer. Prudent Albert lança un bâton vers la trappe. Deux ou trois coups de feu avaient été tirés avant cela ; l'homme qui montait avait tiré. Entendis Joseph Chiasson crier quelque chose ; c'était avant que Mailloux ne voulût tirer. Jusqu'au temps où Joseph Chiasson cria, personne de nous n'avait de fusil dans les mains. Chiasson cria en anglais : « Stop ! Stop ! » Ne l'ai pas entendu crier autre chose : les réponses que j'entendis étaient : « Goddamn ! » Quand Mailloux voulut tirer, il dit en français : « Je vais tirer ! » J'étais à environ trois pieds de lui. Il n'avait pas de fusil alors ; je criai : « Stop ! Stop ! I'll go with you. » Entendis pour réponse : « Goddamn Frenchmen, I'll kill you ! » On tirait alors de tous côtés. Entendis d'autres jurements des Anglais en bas. Ne voyais pas d'autres Anglais quand l'homme tirait à la trappe. Vis soulever les planches et huit ou dix coups furent tirés par là. Ne sais pas où ils visaient, les balles passaient tout près de nous. Ils tirèrent avant et après que j'eusse crié ; n'ai pas vu de Français tirer en bas par les planches soulevées. Cela ne pouvait se faire sans que je ne le visse ; Agapit et Stanislas Albert couvrirent le trou de planches. Vis Mailloux lever un fusil ; pas un autre Français n'avait de fusil ; n'avais pas de fusil ce jour-là et n'en ai pas eu depuis vingt ans. Mailloux tira un coup avec un fusil à deux canons ; il essaya de tirer une seconde fois, mais le coup ne partit pas. Il sauta de côté en disant : « Je vais prendre mon propre fusil. » Étais effrayé et ne le voyais pas tirer ; ce furent là les seuls coups tirés par les Français. Après avoir tiré, Mailloux mit son fusil à côté de l'autre. Les Anglais avaient alors tiré 12 ou 14 coups. N'ai pas entendu Mailloux dire : « Nous sommes tous morts », quand il prit son fusil ; entendis tomber un homme quand Mailloux tira ; quelques Français commencèrent à sauter en bas ; trois Anglais montèrent après la chute de l'homme. Sewell monta le premier et se cacha au bout nord-ouest des planches derrière les seines. J'étais à six pas de lui.

Le procureur général s'objecte à la production de toute preuve touchant ce qui s'est passé au grenier après la mort de Gifford. Le juge permet.

Un gros homme monta après Sewell et se plaça au milieu du plancher ; le troisième se mit en ligne avec la trappe et un peu à côté du tas de planches. Pendant que Sewell et autres tiraient, quelques-uns des Français sautèrent en bas. Ils avaient presque fini de tirer lorsque Mailloux tomba. Je partis pour me sauver par la trappe. Je me baissai en me rendant à la trappe et me mis les mains sur le visage. Près de la trappe, je rencontrai un homme et me relevai vite ; il tira. La balle me laboura le front et me coupa les doigts. Je m'étais mis les mains au visage parce que je craignais qu'ils tirent. (Le témoin montre ses cicatrices.) Me levai et fus frappé au côté de la tête par l'homme qui était au centre du grenier et qui n'avait pas tiré. Cet homme avait une longue barbe noire. Retombai et, en me relevant, reçus sur le cou un coup de carabine ou de pistolet. Je tombai de nouveau et deux hommes essayèrent de me jeter en bas par la trappe. Me tins avec mon pied sur le bord de la trappe. Fus frappé au côté du pied et tombai en bas. Il n'y avait personne dans la cuisine, à part de l'homme qui était mort. Allai dans la chambre. Vis Madame Albert gisant à côté du poêle et André Albert marchant vers la fenêtre. Me fourrai sous un lit où je restai jusqu'au soir. Entendis parler d'où j'étais. Saignai beaucoup par le front et les doigts. Mis ma main à terre pour empêcher le sang de couler au-delà du lit. Ne savais pas que les connétables ou le shérif devaient venir chez Albert ce jour-là pour faire des arrestations.

En réponse à la question s'il savait si les personnes s'étaient assemblées dans le but de résister aux arrestations, le témoin déclare :

  • Je ne savais pas qu'ils étaient là. N'ai pas entendu les prisonniers dire le but de leur réunion. Ne vis personne lancer des bâtons autre que Prudent Albert.
  • Joseph Chiasson ne travaillait-il pas assez loin de la prison, quand le shérif ou le connétable n'étaient pas en vue, pour pouvoir s'échapper ?
Son Honneur dit que la bonne conduite des prisonniers avait été si bien établie, par le shérif et son député, que cette question n'était pas nécessaire. En réponse au contre-interrogatoire de M. Kerr, il dit :
Mailloux a été tué une minute environ après l'Anglais. Entendis ce dernier tomber lourdement sur le plancher. Vis tomber Mailloux. L'homme qui tira le premier en haut était derrière les filets. Il tira cinq ou six coups. Il tira avec un pistolet. Personne ne vint en haut avant lui. Aucun coup de fusil ne fut tiré par les Français après la mort de l'Anglais. Aucun coup de feu derrière les filets quand l'Anglais fut tué. Vis deux des Anglais qui montaient tirer avec des pistolets. L'un était près de la trappe et tira deux ou trois coups, vers le dernier, la fumée commença à remplir la chambre. Joseph Chiasson est mon oncle. Le fusil à deux coups est semblable à celui avec lequel Maîlloux tira. Ne vis pas de fusil apporté à la maison. N'étais pas chez Young deux jours avant avec un fusil. Ne vis ni poudre ni plomb avec les Français au grenier. Ne vis personne charger un fusil. Entendis parler en bas quand les constables entrèrent, on parlait anglais et français. Ne les entendis pas dire qu'ils étaient venus pour Chiasson ou Parisé. Avais entendu dire qu'ils venaient pour prendre Charles Parisé. Ne sais pas pourquoi ils vinrent. Avais entendu dire par d'autres qu'ils venaient pour prendre Parisé. Ne vis pas Frigeau ni Brideau chez Albert ce jour-là, Ne jouai pas aux cartes le matin. Ne vis pas de fusil dans la maison. N'ai vu que deux fusils au grenier. Fus chez Blackhall le lendemain de l'assemblée d'école ; bus du rhum qu'on avait apporté de chez Robin's. Ne savais pas que je devrais être arrêté pour émeute. Ne sais pas quand les prisonniers tirèrent l'escalier en haut. Pas un Anglais ne monta avant que l'homme fut tué. Ne vis personne près de l'homme quand il fut tué. N'entendis personne crier « nous nous rendons » après que Mailloux fut tué.

Réexaminé par M. Thompson : Joseph Chiasson descendit pour se rendre avant la fin du feu. Avant que Mailloux ne fût tué, d'autres descendirent. Entendis Chiasson crier avant que Mailloux ne fût tué, qu'il se rendrait. Il dit : « Arrêtez, je vais aller à vous ! » Les Anglais tirèrent après cela. Entendis des cris de femme. Suis sûr que Mailloux n'a pas tiré tant que l'homme qui était à la trappe n'eut pas tiré.


Source : Le Moniteur Acadien, 2 décembre 1876, p. 2, col. 5.